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  • Photo du rédacteurMaria Lamas

Mieux négocier

Aujourd’hui je partage avec vous une chronique de l’excellent Olivier Sibony, expert et chercher en stratégie, mais surtout dans les biais cognitifs et leur influence dans nos décisions.


« Comment fait-on, quand on doit faire une estimation chiffrée ? En théorie, nous devrions partir de zéro, et faire la meilleure évaluation possible. Mais en réalité, nous avons tendance à utiliser un chiffre disponible et à l’ajuster, souvent de manière insuffisante. Le chiffre disponible agit ainsi comme une “ancre’’ dont notre estimation ne parvient pas à se détacher. C’est le biais d’ancrage. Il est intéressant d’en comprendre le fonctionnement, et surtout les conséquences.


La démonstration la plus spectaculaire du biais d’ancrage, c’est qu’il nous influence même quand l’ancre est sans aucun rapport avec la valeur estimée, voire franchement absurde. Deux chercheurs allemands, Thomas Mussweiler et Fritz Strack, ont démontré cet effet avec une créativité remarquable. Dans l’une de leurs expériences, ils demandent à la moitié de leurs sujets si Gandhi était âgé, à sa mort, de plus ou moins de 140 ans. A l’autre moitié des sujets, ils demandent si Gandhi avait plus ou moins de 9 ans. Bien entendu, personne n’a de difficulté à répondre à ces deux questions. Mais la question suivante consiste à estimer l’âge de Gandhi à sa mort. Le groupe « ancré » sur 140 estime, en moyenne, que Gandhi est mort à 67 ans. Le groupe « ancré » sur 9 pense qu’il est mort à 50 ans – 17 ans de moins ! Gandhi est en réalité mort à 79 ans, mais peu importe : ce qui compte, c’est qu’un chiffre « ancré », même quand il est absurde, influence les réponses.

Des expériences du même type ont été réalisées avec toutes sortes d’ancres. On a par exemple demandé à des sujets de faire tourner une roue de la fortune avant de répondre à des questions de culture générale. On leur a demandé d’écrire les derniers chiffres de leur numéro de téléphone avant de deviner la date d’un événement historique. On a même demandé à des juges de jouer aux dés avant de fixer le nombre de mois de prison auquel ils condamnent un délinquant. Dans toutes ces expériences, les ancres, qui sont évidemment totalement factices, influencent quand même la réponse à la question. Le simple fait qu’un chiffre soit mentionné, même quand il est manifestement sans rapport avec le problème posé, biaise notre jugement.

Biais d’ancrage et négociations

Le biais d’ancrage joue entre autres un rôle important dans les négociations. Un lieu commun veut que « celui qui donne un chiffre le premier ait perdu ». C’est une idée qui peut se comprendre : le premier qui fait avancer la négociation sur le terrain du prix signale son impatience de conclure. Et dans certains cas particuliers, il peut, en faisant une offre, révéler des choses qu’il aurait mieux fait de cacher : si le vendeur n’a aucune idée des raisons pour lesquelles ce qu’il vous vend a de la valeur pour vous, vous risquez, en lui proposant un chiffre, de lui mettre la puce à l’oreille – voire d’offrir beaucoup plus que ce qu’il aurait demandé.

Mais en-dehors de ces cas particuliers, la plupart des études sur les négociations démontrent en fait le contraire de ce que suggère la sagesse populaire : il vaut mieux être le premier à donner un prix, tout simplement parce que le premier chiffre fixe une « ancre ». Comme le marchand dans le souk qui propose un prix exorbitant, le vendeur qui positionne dès le départ la discussion sur un prix élevé sait que ce chiffre va servir de référence. Vous savez bien sûr qu’il faut le faire baisser. Mais (à moins que le prix ne soit tellement ridicule qu’il vous fasse claquer la porte) il va quand même vous influencer, tout simplement parce qu’il est là.

Alors, si vous êtes, justement, l’autre partie, comment se soustraire au biais d’ancrage ? Ce n’est pas facile ; mais la meilleure méthode, c’est d’utiliser le poison contre le poison – le biais d’ancrage contre lui-même. Pour cela, il faut tout simplement se créer une autre ancre, aussi forte que la première. Vous pourriez, par exemple, aborder la négociation en ayant très clairement fixé un prix que vous ne dépasserez pas. Vous pourriez aussi écrire ce prix, et sa justification – les écrits ont plus de poids. Vous pourriez même le discuter avec vos collègues et prendre vis-à-vis d’eux l’engagement de vous y tenir.

Mais surtout, vous pourriez faire en sorte de faire, sur la base de ce prix, la première offre dans la négociation. Il vaut toujours mieux être celui qui jette l’ancre ! »

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